Fruit d’un père italien et d’une mère paumotu, Nathalie naît à Nouméa mais grandit sur Tahiti. « Petite, j’ai toujours admiré les fêtes du Heiva, attirée par les sons du to’ere, ce tambour à fente polynésien si caractéristique. Vers 16 ans, j’ai senti comme un appel vers le ori tahiti. Je me suis mise à danser, danser, à tel point que j’ai abandonné mes études. »
En 1996, Nathalie concourt pour la première fois au Heiva avec la troupe mythique Te Maeva, dirigée par Coco Hotahota. L’homme, connu pour son attachement aux traditions, devient son mentor, marquant de son empreinte le style de la jeune sportive.
Celle-ci entame une carrière professionnelle, dansant sans relâche dans les hôtels de Polynésie, au cours de fêtes et lors de tournées internationales. En parallèle de ses prestations, Nathalie découvre le métier de professeur en assistant la chorégraphe Dadou Paillé dans son école Orirau, située à Pape’ete. Pendant 10 ans, elle transmet aux enfants tous les mouvements propres aux ’ōte’a et ’aparima.
C’est lors d’une tournée aux États-Unis, en 2003, qu’elle rencontre son futur époux, le Hawaïen Anthony Waipa Manaois, fondateur et directeur musical de ’Ote’a ’Api. Alors que leurs troupes respectives se jumellent, le jeune couple, lui, se marie l’année suivante. Après quelques allers-retours entre Tahiti et la Californie, Nathalie et Anthony s’installent sur les terres ancestrales de la future maman, à Rangiroa.
Tout naturellement, le couple décide de créer, en 2009, une école de danse tahitiano-hawaienne à Avatoru ; ils la baptisent Turereura, du nom de leur fille tout juste née. Anthony, élevé au sein d’une famille marquée par la musique et la danse, enseigne le hula, le ’ukulele et les percussions traditionnelles tandis que Nathalie dispense les cours de ori tahiti.
Aujourd’hui, l’école accueille plus de 100 élèves, âgés de 4 ans à plus de 50 ans tout au long de la semaine. Même les hommes, encadrés par Anthony, sont bien représentés avec une dizaine d’adultes et un groupe de tamāroa constitués de 22 garçonnets motivés.
« Turereura est l’un des plus importants centres de loisirs de l’atoll avec l’école de judo ; il participe à la vie locale puisque les enfants se produisent en public lors de journées corporatives, précise Nathalie qui a à cœur d’animer l’île. Les écoles de danse sont plutôt rares aux Tuamotu, la population se sent donc chanceuse d’en avoir une dynamique. »
Cette dimension sociale, l’enseignante la ressent profondément lorsqu’elle passe des heures avec ses élèves qui s’exercent au vivre-ensemble. « Danser, c’est prendre soin de son corps, partager un moment avec autrui en apprenant à connaître ses partenaires. Au travers des ’ōte’a et ’aparima, on découvre également l’histoire de nos ancêtres. »
Cette « école de la vie » se met au service des bambins les plus modestes en les emmenant en voyage. Tous les deux ans, les dirigeants de Turereura organisent un séjour culturel et artistique pour une vingtaine d’enfants de Rangiroa. Encadrés par environ dix adultes, certains se sont déjà envolés vers Makatea, vers les États-Unis, et notamment Hawaï en juillet 2024.
« J’aime voir leurs yeux briller quand ils grimpent, pour la première fois de leur vie, dans un si gros avion. Pendant deux semaines, ils découvrent un tout autre mode de vie. En plus, lors des festivals sur lesquels nous nous produisons, ils se sentent fiers de représenter leur île à l’étranger », analyse la professeur. Cet honneur, près de 80 élèves de l’école le vivent chaque année à Tahiti, le temps d’un week-end en juin, à l’occasion du Ta’upiti ana’e. En dépit de son éloignement et des efforts d’organisation pour un tel déplacement, la troupe de Rangiroa ne manque pas une édition du Heiva des écoles afin de concourir sur la scène To’atā au côté de la quarantaine d’autres établissements.
Cette ouverture au monde conforte Nathalie dans l’importance de préserver les traditions polynésiennes en les faisant vivre au quotidien. Chaque jour, la costumière renoue avec un artisanat ancien, fabriquant des colliers en coquillage, cousant, peignant des paréos ou bien confectionnant des tenues en kere, l’écorce fibreuse qui se détache du tronc des cocotiers. « Aux Tuamotu, nous vivons au milieu d’une nature qui nous occupe intensément. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient car se remémorer nos origines, notre passé, nos coutumes nous aide à vivre mieux », défend Nathalie Teura Manaois.
Le message semble être passé auprès de Turereura, la fille de Nathalie et Anthony. La lycéenne est en effet engagée dans des études tournées vers les danses du monde, le ori tahiti et les arts. De quoi assurer la continuité de l’école qui porte son prénom.