“Kura ora ? Est-ce la paix ?” (1) Telle était la question posée par les habitants des Tuamotu aux étrangers qui arrivaient en pirogue sur leurs atolls. Si des ancêtres communs étaient trouvés, l’accueil était aussi pacifique que majestueux. Dans le cas contraire, c’était la guerre : “Kura mate ! C’est la mort !” (1)
Dans les îles des Tuamotu, la guerre représentait un moyen de prestige et d’affirmation ; les “raids de conquête” permettaient de “régler par la force certaines rancœurs accumulées” (1) entre les différentes branches familiales. Les “inégalités de ressources selon les atolls, et des facteurs démographiques (...) poussait certains groupes à une grande mobilité” (1), et aux conflits.
Habituellement, “les affrontements sont (...) de courte durée aux Tuamotu. (...) La ruse et les duels entre guerriers renommés sont privilégiés aux combats rangés.” (3) L’atoll d’Anaa est une exception. Leurs combattants iront “jusqu’à la conquête de trente-huit atolls des Tuamotu, représentant la moitié ouest de l’archipel” (1), notamment la zone du “Mihiroa : les atolls de Kaukura, de Rangiroa, Tikehau, Mataiva, 'Arutua, Apataki et l'île de Makatea” (4). Selon certaines traditions, l’est de l’archipel aurait également subi leurs assauts.
“Ces conflits débutèrent à partir du XVIIe siècle, pour atteindre un degré de violence inégalé à la fin du XVIIIe siècle, qui entraîna la désertion de ces atolls et le refuge des populations à la presqu’île de Tahiti pendant deux générations.” (1) Moerenhout signale dès 1800 leur agissements : “(...) pillant, brûlant tout (même les cocotiers), massacrant les hommes (...), changeant en désert affreux ces mêmes îles, fières” (1). Caillot écrit en 1769 : “C’étaient les plus redoutables indigènes de l’archipel des Tuamotu” (1).
Prévost note : “leurs intentions visaient davantage à se rendre maître de la population de l'atoll adverse en la condamnant à l'esclavage“ (3), vouée à des tâches humiliante pour abaisser leur mana. Les Parata chantaient leurs victoires, rabaissant les vaincus, les comparant à des “souillures”, et les enjoignant à fuir : “E Mihiroa e, e Mihiroa e, / Ka horo koe ! (...) / titiko noa no Mihiroa.” (1)
Selon William Smith, lors des combats, les guerriers d’Anaa couvraient leur corps avec une peau de requin, et leurs bras des dents de cet animal ; ils sont nommés Parata, comme le requin. Grands conquérants de mers (inu tai, “buveurs de mers”) comme de terres (kai henua, “mangeurs de terres”), les Parata combattaient chargés de la force de leurs ancêtres (tuputupuna), de leurs divinités (te nuku mau atua), de leurs armes (lances, massues, couteaux, projectiles...), et de leur “grande maîtrise des techniques de navigation” (1), à bord d’excellentes pirogues. Une suprématie en lien avec un atoll plus exhaussé que les autres (hormis Makatea), contenant davantage d’eau douce, des terres propices aux cultures, et un récif plus favorable à la pêche.
Rangiroa est régulièrement assailli par les Parata : “Environ une quinzaine de générations avant 1900, (...) ses rivages sont de plus en plus visités par les féroces guerriers de Anaa (...), au point de modifier l’organisation spatiale de l’habitat de Rangiroa” (1). Les îliens désertent leurs habitations pour se regrouper autour de Tivaru (près de la passe).
En 1769 selon Caillot, les habitants opprimés auraient pris part, avec deux autres atolls, à une vengeance contre Anaa. Mais les représailles sont terribles. “En voyant l’horizon couvert de pirogues de Anaa, les gens de Rangiroa s’écrièrent : “O Parata teie, ua pau tatou ! : Ce sont les Parata, nous sommes perdus !” (1) Certains sont massacrés, les autres fuient, tout comme d’autres habitants des atolls du Mihiroa. Ils se réfugient dans les grottes de Makatea, d’où ils sont délogés. Talonnés par leurs adversaires, “ils gagnent Tahiti se mettant sous la protection du roi Pomare II”, et s’installent dans l’actuel fenua aihere.
“C’est le roi Pomare II qui en 1817, arrêta les guerres et permit le retour des réfugiés dans leur île à partir de 1821 et jusqu’à 1850.” (2) En 1831, Tyerman et Bennett relatent le rassemblement des différentes îles ennemies des Tuamotu : “Pomare se tenait debout entre les deux partis, et dans un discours impressionnant, il les exhorta à la réconciliation.” (1) À cette occasion, Rogo de la tribu d’Anaa présente le chant de louange de sa lance qu’il plante en terre. “Ce chant mit fin aux guerres” (4).
Les représentants des Parata et des atolls de l’Ouest convinrent que “des rapports amicaux devraient prendre la place des luttes continuelles” (1). Deux délégués de Pomare II sont envoyés aux Tuamotu pour représenter son pouvoir. C’est le prélude à “de profonds changements socio-politiques et religieux, avec une stratification sociale (...) plus poussée” (1) ; le système de résidence change alors avec plus d’exogamie et “l’avènement de groupes dominant un atoll entier.” (1) C’est le début d’une nouvelle ère.