Le poisson est la principale source de protéine en Polynésie française et revêt une importance historique et culturelle majeure dans les communautés Mā’ohi. Du fait de la croissance démographique et de la place que représente le poisson dans les communautés polynésiennes, la pêche lagonaire connu une hausse sans précédent depuis les années 60. Ainsi, certaines espèces ce sont vu directement ciblées par cette forte exploitation, ce qui est le cas des poissons de la famille des Empereurs. Cette famille comprend de nombreuses espèces exploitées commercialement que l'on trouve dans les régions tropicales et subtropicales. Sur l’atoll de Rangiroa, c’est le Bec-de-Cane (O’EO) qui représente une ressource halieutique cruciale.
Il s’agit d’une espèce importante qui assure et soutient une grande partie de la vie des familles depuis maintenant plus de 40 ans. Sa pêche contribue non seulement à la communauté locale de l'atoll, mais assure également la sécurité alimentaire et représente une importance économique dans de nombreux secteurs, à savoir la restauration et le tourisme sur plusieurs îles telles que Tahiti ou Bora Bora. Inquiets de la forte exploitation et des risques de raréfaction de ce poisson, les habitants de Rangiroa ont exprimé certaines inquiétudes quant à l'impact et à la pérennité de la pêcherie lagonaire ainsi qu’à la santé de la ressource.
Par conséquent, avec l'aide de l'ancien maire, M. Maraeura Teina, The Nature Conservancy (TNC) a répondu à l'appel pour aider la communauté locale à comprendre et à améliorer ses connaissances sur le O’EO, et à travailler ensemble pour préserver la pêche et son stock. C’est ainsi qu’en 2019, les membres de TNC et la communauté locale ont lancé une étude approfondie sur la pêcherie de ce poisson. En ce basant sur les connaissances locales de cette espèce et de sa biologie, les objectifs étaient d'abord de comprendre les traits d’histoire de vie et les impacts de la pêcherie actuelle sur le stock de poisson. Cette pêcherie fut étudiée pendant 3 années consécutives, de 2019 à 2021.
Dans cette démarche, The Nature Conservancy a étroitement collaboré avec les pêcheurs locaux et a appliqué une combinaison de méthodes d’etude, notamment l'évaluation des stocks basée sur la taille des poissons pêchés et l'analyse du cycle biologique (taille à maturité, fécondité, âge et croissance) pour fournir à la communauté de Rangiroa une évaluation complète de cette pêcherie.
L'analyse de milliers de poissons a révélé un stock fortement exploité dans les circonstances actuelles. Cependant, grâce au dévouement de la communauté locale, des discussions sur des options de gestion et des recommandations ont eu lieu. Par conséquent, une limite de taille de 45 cm a été mise en place. Cette taille particulière représente un poisson mature qui s'est reproduit au moins une fois et qui a contribué au renouvellement du stock de poisson. De plus, la limite de taille de 45 cm revêt une importance économique, car les poissons plus petits entraînaient des pertes financières et nécessitaient le double de l'effort de pêche, sachant que deux voire trois petits poissons équivalaient à la valeur commerciale d’un poisson de bonne taille. TNC soutient activement la communauté locale en fournissant des outils, tels que l’application Fish Kit, pour comprendre et gérer les ressources marines en harmonie avec les connaissances traditionnelles.
Fish Kit est un outil spécialisé conçu pour les acteurs locaux de la pêche et vise à faciliter la génération d’une science halieutique complète. Son objectif est d'améliorer la compréhension de l'exploitation des ressources et, à terme, de contribuer à l'amélioration des pratiques de gestion de la pêche côtière. Cette initiative constitue une opportunité d'apprentissage mutuel et, par conséquent, la formation/sensibilisation des jeunes générations est essentielle. Ainsi, 2 jeunes techniciens locaux ont été employés pour faire le suivi de cette gestion basés sur la taille et mettre en pratique les sciences halieutiques de base à travers la collecte de données grâce aux captures des pêcheurs. Grâce à leur engagement et à leur travail, les premiers résultats ont indiqué que la limite de taille appliquée localement après seulement un an suggérait une pêcherie et des stocks de poissons plus stables.
Rangiroa constitue un modèle de collaboration fructueuse, présentant un modèle remarquable de travail d'équipe dans la région Pacifique. Les communautés locales et les organisations de conservation unissent leurs forces pour relever les défis communs liés à des valeurs partagées, à la gestion des ressources marines, aux moyens de subsistance et à la sécurité alimentaire. Cette initiative constitue non seulement un cas exemplaire, mais ouvre également la porte à des études approfondies, à des opportunités et à un partage de connaissances dans le domaine des sciences halieutiques. Actuellement, l’atoll est engagé dans une étude approfondie sur le comportement migratoire du O’EO, couplée à la mise en œuvre d’un programme de formation en sciences halieutiques qui étend sa portée vers d’autres îles de la Polynésie Française.
Cette approche implique une participation active aux côtés de ceux qui dépendent directement de ces ressources, en utilisant leurs précieuses connaissances pour gérer efficacement les pêcheries. La clé pour favoriser une pêcherie saine et pérenniser les ressources marines réside dans la collaboration avec les communautés locales. Cet effort concerté vise à approfondir notre compréhension des espèces grâce à l’identification d’habitats critiques, tout en dotant simultanément les communautés des différentes îles d’outils de gestion sur mesure. L’objectif primordial est d’enrichir les connaissances, de promouvoir des pratiques durables et d’assurer le bien-être à long terme des pêcheries et des écosystèmes marins.
Mauruuru roa